Fiche pratique :
Comment imposer un accompagnement syndical dans un entretien à caractère conflictuel ?
Dans certaines situations de conflit ou de vives tensions, il arrive qu’un.e collègue en responsabilité (direction de département, de composante, par exemple) « invite » (ou parfois même se croie le droit de convoquer1) un.e collègue impliqué.e dans les problèmes à une entrevue, et refuse que la personne en question soit accompagnée par un tiers - alors qu’elle le souhaite –, même par un.e militant.e syndical.e bien connu.e.
Quelles démarches faire pour lever cette opposition ?
Voici ci-dessous un modèle de courriel à adapter librement selon d’éventuels besoins locaux, qui a déjà permis de dénouer ce genre de crispation inutile, due à un autoritarisme mal placé se développant bien trop largement parmi les gens de bonne compagnie que sont pourtant notoirement les universitaires...
[Monsieur le Directeur/Madame la Directrice],
XXX m'a appris que vous n'entendiez pas me permettre d'assister à l'entretien que vous souhaitez avoir avec [lui/elle] au sujet de [objet de l’entretien]. Je m'étonne de ce refus, car la présence d'une tierce personne permet, aussi bien à la direction de [la structure] qu'[au/à la] collègue, d'avoir un témoin des propos qui peuvent avoir été échangés durant l'entretien, et de garantir ainsi que ces propos ne peuvent pas être déformés par l'un ou par l'autre à l'issue de l'entretien. C'est pourquoi je vous prie de bien vouloir reconsidérer votre position, et d'accepter que je sois [présent/présente] à l'entretien et pose éventuellement quelques questions ou apporte des informations pour lever des malentendus éventuels qui pourraient exister. Cela me permettra de contresigner le compte-rendu écrit de l'entretien qui en sortira, si je considère qu'il est conforme aux propos tenus. Dans les cas [potentiellement] conflictuels comme celui-ci, il est de la responsabilité particulière de la direction de [la structure] de faire en sorte que le problème ne s'envenime pas, de façon à ce que les personnes n'en souffrent pas, et que le fonctionnement de la structure soit le plus harmonieux possible, dans l'intérêt [des étudiants et collègues]
Une autre attitude de votre part pourrait donner lieu à interprétation sur les intentions qui sont les vôtres envers XXX, ce qui bien sûr, ne contribuerait pas à aplanir les difficultés actuelles.
Ne doutant pas de votre dévouement au service public et à l'intérêt général de la structure dont vous êtes [le directeur/la directrice], je vous prie d'agréer, [Monsieur le Directeur/Madame la Directrice], l'expression de mes salutations les meilleures.
signature avec mention de la responsabilité syndicale éventuelle dont se prévaut l'accompagnateur
On peut mettre la personne XXX en copie du mail, en lui disant alors de ne surtout rien répondre, même si la réponse est désagréable. Selon l’intensité du conflit, des membres de la direction de l’université peuvent également être mis en copie du message, mais si le conflit n’en est qu’à ses débuts, il vaut mieux éviter de prendre trop de monde à témoin, ce qui a tendance à crisper encore plus et essayer de régler le problème « entre gens de bonne compagnie ». Les traces écrites doivent être précieusement conservées en cas de poursuite du conflit. Elles permettent, en cas de besoin ultérieur, de montrer la part du-de la collègue en responsabilité dans le problème.
Si jamais le refus est maintenu, il faut rassurer XXX en lui rappelant que les collègues en situation de responsabilité ne sont pas des supérieurs hiérarchiques et ne peuvent prendre de sanction pour un refus de participer à un entretien dans ces conditions, et lui conseiller de ne pas se rendre à cette invitation/convocation. Il faut alors là aussi laisser une trace écrite de la raison du refus de participer à l’entretien (à savoir, le refus opposé à sa demande d’accompagnement par un représentant syndical). Il est important que XXX demande alors un rendez-vous au médecin de prévention, pour lui signaler que cela l’inquiète fortement que le-la collègue en responsabilité ne veuille pas d'une tierce personne dans un entretien, car cela dénote une volonté de lui dire des choses désagréables sans lui laisser les moyens de se défendre et sans témoin pour attester des propos tenus. Un éventuel médiateur de l’université peut également être averti du problème. Ainsi la direction de l’université est officiellement alertée et peut intervenir. Elle a en effet une obligation de prévention en matière de santé au travail des personnels2.
L'idée générale est qu'il faut laisser des traces écrites qui ne nuisent pas à la personne pour que la direction se rende compte que c'est elle qui va avoir le mauvais rôle si ça continue, et qu'elle a tout intérêt à ce que ça se passe bien, et accepte un entretien en présence d'une tierce personne.
Que dit le droit à ce sujet?
L’accompagnement syndical individuel fait partie des missions des syndicats. En effet, l’objet du syndicat, que l’on trouve à l’article L2131-1 du code du travail 3 est ainsi défini :
« Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts. »
Par conséquent, on peut considérer qu’en interdisant à un représentant syndical d’accompagner un agent, l’employeur fait illégalement obstacle à l’exercice même des fonctions syndicales (en l’occurrence la défense des intérêts moraux individuels), agissement qui serait susceptible de faire l’objet d’un référé-liberté.
Mais dans une situation conflictuelle, un recours juridique sur ce motif n’est clairement pas un moyen d’apaiser les tensions et le risque qu’il soit rejeté augmente le risque des collègues en difficulté d’être en butte à plus de problèmes encore. Aussi n’est-il pas conseillé de se servir de ce moyen, qui s’utilise vraiment en dernier lieu, une fois que l’échec de toutes les démarches amiables et syndicales est constaté et documenté par écrit, de façon à pouvoir étayer sérieusement un éventuel recours.
Par ailleurs, la loi de Transformation destruction de la Fonction publique, votée le 6 août 2019, prévoit qu’à terme (après parution des décrets nécessaires) un agent engagé dans une démarche de recours (obligatoirement gracieux en premier lieu) contre une décision individuelle défavorable puisse se faire accompagner par un représentant syndical désigné par ses soins. Néanmoins, le contenu des décrets en question n’est pas encore dévoilé et le gouvernement n’a pas prévu leur parution avant 2021. Comme l’esprit de cette loi n’est certes pas fait pour donner plus de droits aux agents, il ne faut peut-être pas espérer trop fort que cela puisse servir dans des cas où il n’y a pas encore de démarche de recours officiellement engagée.
Notes:
1Le statut d'enseignant-chercheur (EC) octroie une indépendance, qualifiée de principe de niveau constitutionnel par le Conseil constitutionnel, et réaffirmé par plusieurs jurisprudences, qui implique que les EC n'ont aucun supérieur hiérarchique : le/la ministre elle/lui-même ne peut leur donner aucun ordre. Pour en savoir plus, voir la fin de cet article : https://www.snesup.fr/article/enseignants-chercheurs-rien-ne-vous-oblige-trier-des-dossiers-de-candidature-en-licence
Pour les enseignants de statut second degré, le supérieur hiérarchique immédiat est le chef d’établissement, à savoir, le président d’université ou directeur de l’établissement public d’affectation.
Pour les enseignants contractuels, il faut vérifier le libellé du contrat, mais généralement, le supérieur hiérarchique est le président ou directeur de l’établissement.
2Partie 4 du code du travail : santé et sécurité au travail,
3Le droit du travail ne s’applique pas intégralement à la fonction publique, mais le droit des fonctionnaires à créer des syndicats étant reconnu par le statut général de la fonction publique, sans qu’aucune autre définition des syndicats n’y soit donnée, l’usage juridique est de considérer que les fonctionnaires sont des travailleurs auxquels peut donc s’appliquer cet article du code du travail