La manière dont se construit le continuum bac – 3 / bac + 3 fait aujourd’hui violence à toute une génération. On sait bien que la réussite au lycée n’est pas prédictive de la réussite dans le supérieur, notamment dans les disciplines nouvelles, celles qui ne sont pas enseignées dans les lycées. C’est la raison qui a motivé le refus de classer les candidats dans plusieurs formations, comme à l’UPPA ou Bordeaux-Montaigne. On sait bien que les capacités d’accueil décidées en fonction des considérations budgétaires n’ont pas vocation à coïncider avec le nombre d’étudiants qui peuvent réussir.
L’argument de la réussite par l’orientation est un faux-semblant, et on voit déjà en creux l’absence de résultat, lorsque Christine Gangloff, de la CPU, déclare qu’« on ne peut plus évaluer la réussite des étudiants au passage en deuxième année puisqu’il peut y avoir un rallongement des études » ou lorsque Gilles Roussel, président de la CPU, annonce que « si on regarde [les choses] de façon globale, on n’aura pas nécessairement un impact significatif de la loi ».
En réalité, on a juste retiré au baccalauréat le droit qu’il conférait d’accéder librement à l’université. On a rendu responsable les jeunes et leurs familles d’un parcours de formation que beaucoup, par leur âge ou leur environnement social, ne peuvent pas maîtriser.
Par ailleurs, la transparence affichée par le ministère contraste avec la volonté manifeste de ne pas communiquer les algorithmes locaux, de modifier les indicateurs pour empêcher toute analyse pluriannuelle et toute mesure du nombre de candidats qui n’obtiendront pas la filière qu’ils souhaitent vraiment, et de ne transmettre que des données partielles.
Alors que le ministère affirme que Parcoursup a pour vocation d’intégrer un point de vue humain dans l’orientation des lycéens vers les filières universitaires, l’entrée dans les écoles d’infirmiers (IFSI) montre exactement l’inverse : une sélection construite sur les notes obtenue au lycée sans prendre en compte les acquis professionnels et les appétences individuelles, ce qui aboutit à l’éviction pratiquement totale des candidat·e·s ayant une expérience dans le travail social.
Ainsi, la loi ORE n’a pas amélioré la réussite des étudiants par une meilleure orientation mais elle n’a pas non plus permis d’améliorer leurs conditions d’accueil. En effet, alors que les effectifs étudiants connaissent une hausse continue, avec près de 90 000 étudiants supplémentaires en deux ans, le gouvernement a choisi de ne pas augmenter les moyens à la hauteur des besoins. Les dispositifs d’accompagnement « Oui si » n’ont pas été efficaces (le taux de décrocheurs en milieu d’année a augmenté de 8 % parmi les étudiants en STAPS).
La loi ORE ne se fonde donc pas sur une amélioration des formations, mais sur une répartition des étudiants qui restructure l’ESR. Les formations non universitaires bénéficient des flux bloqués à l’université par les capacités d’accueil (+ 3,4 %). Simultanément émerge une université concurrentielle, avec des filières déversoirs et des filières en tension, mais aussi le développement de « filières d’excellence », disposant de plus d’heures de cours et de meilleures conditions d’étude, au prix cependant de frais d’inscription plus élevés. Le passage des CMI (Cursus Master Ingénierie) en DU en est un parfait exemple. Parcoursup est, dans ce contexte, un outil de développement d’un marché des formations supérieures, avec une pression à la commercialisation. Là encore, le ministère ne communique pas sur le nombre de formations qui deviennent payantes.
S’il est dans ces conditions difficile de construire un bilan chiffré de Parcoursup, il n’en reste pas moins que Parcoursup instaure une logique de concours pour entrer dans l’enseignement supérieur avec trois conséquences :
1 - une mise en compétition des opérateurs de formation (formations, universités, écoles, structure publique/privée, etc.) ;
2 - la responsabilisation individuelle du choix de sa formation, ce qui renforce le déterminisme social ;
3 - la structuration d’un marché de l’éducation où le mérite est remplacé par l’héritage financier et le capital culturel.