Le BUT en 180 ECTS... et 500 mots : contre-éléments de langage
Pour assurer le service après-vente de la réforme engagée des DUT, l'ADIUT (Association des directeurs d'IUT) a diffusé un document identifié sous le nom de "Le BUT en 500 mots", avec en objet: "Eléments de langage sur le BUT" (ci-dessous), largement relayé au sein du réseau IUT.
La réforme programmée des DUT y est vantée comme [C'est moi qui souligne] : "Une innovation majeure pour la professionnalisation de l’ensemble du premier cycle [qui] rompt avec le caractère tubulaire de la formation actuelle au profit d’un parcours de formation ouvert et flexible. Il repositionne l’offre de formation des IUT dans le cycle L en refondant le diplôme pour aboutir à une proposition de parcours de formation agile, attractif ..."
Des éléments de langage, en effet, que l'on retrouve à tous les étages des réformes universitaires actuelles et de leur novlangue, à l'uppa comme ailleurs, avec ces mêmes "mots clés", censés incarner la modernité face à un conservatisme un peu rance renvoyant à un passé pressé d'être balayé. Preuve supplémentaire de cette modernité, le nouveau nom choisi pour désigner le nouveau diplôme en trois ans et/ou 180 ECTS abrité par les IUT n'est pas "Licence" mais "Bachelor", précisément "Bachelor universitaire de technologie" (BUT). L'avenir sera anglo-saxon ou ne sera pas, soyons donc pro-actifs (Tiens, ils l'ont oublié ce mot-clé là !). La preuve, une certification en anglais y sera obligatoire, privée et payante de préférence ("Une évaluation externe et reconnue au niveau international et par le monde socio-économique", précise le projet d'arrêté).
Quant à la dimension éthique et sociale du nouveau diplôme, cela donne : "Le BUT est une réponse aux besoins d’égalité et un moyen efficace de lutte contre le chômage de masse chez les jeunes". Rien moins. Voilà donc pour le nouveau BUT, en 180 ECTS... et 500 mots !
C'est donc un enterrement de première classe qui est prévu pour notre bon vieux DUT, qui ne le méritait peut-être pas. Après de nombreux autres rapports et observateurs, l'OCDE par exemple, dans son "Regards sur l'Education 2019" souligne "l'excellence" des parcours français en deux ans, DUT et BTS, érigés en modèle :
https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/bts-et-dut-la-france-citee-en-modele-1130565
Ailleurs, les sociologues vantent le modèle pour les mobilités sociales qu'il permet en jugeant sévèrement la réforme :
"Dans les BTS et les IUT se retrouvent, massivement, des étudiants issus de familles où ils sont les premiers à avoir obtenu le bac (...). Et pour des étudiants venus des milieux populaires, ces départements d'IUT constituent des vecteurs d'ascension sociale. Mais plus pour longtemps : les réformes programmées entendent interdire ces parcours. Elles vont consolider (plus encore qu'aujourd'hui) l'assignation des enfants d'ouvriers et d'employés, ou de petite classe moyenne, à "rester dans les limites" d'une courte promotion sociale."(1) (En ne permettant plus la poursuite d'études longues).
Mais pourquoi donc chercher à abattre un modèle unanimement loué ? Car la menace apparaît bien réelle lorsque l'on décrypte le projet d'arrêté (2), repoussé par une mobilisation syndicale au CNESER d'octobre et qui devrait y revenir ce mois-ci. Voici donc, au-delà des "éléments de langage" ce qui nous attend :
1- Le BUT en 180 ECTS ne délivrera pas le diplôme de Licence, exclusive des universités, mais un Bachelor seulement de "grade licence", n'ouvrant pas droit à poursuite d'études en master, mais visant l'insertion professionnelle immédiate (Article 1 du projet d'arrêté).
2- Le nouveau Bachelor fera oublier l'ancien DUT, et la valorisation associée à ce nom, pour être confondu avec les pratiques hétéroclites des officines privées qui en délivrent aujourd'hui de toutes sortes. Le DUT disparaîtra de Parcoursup au profit du Bachelor, un parmi d'autres, pour une lisibilité réduite.
3- Le DUT pourra être délivré "au niveau intermédiaire" de 120 ECTS, mais seulement "à la demande de l'étudiant" (Art.17), c'est à dire comme les anciens DEUG/DEUST aujourd'hui encore. Mais les programmes à rebâtir sur des bases allégées se seront au préalable chargés de le vider de son sens.
4- Agilité, flexibilité et innovations se traduiront par d'étranges injonctions chiffrées cumulées préfigurant une batterie d'indicateurs de suivi et de tracas administratifs :
50% au moins de bacheliers technologiques, 70% au moins de réussite pour ces derniers (seulement !) (Art. 17),
25% au moins des enseignements assurés par des professionnels extérieurs (Art. 10),
1/3 au moins des ECTS en stages et projets (Art. 10),
1/3 d'adaptation locale des programmes (Art. 17),
75% au moins des "activités de formation" dirigées et encadrées (Art.17)...
Avec bien sûr toutes les combinaisons possibles dans ces injonctions "au moins" qui permettent, au plus, de tout imaginer dans des maquettes découpées en "blocs de compétences" qui n'ajouteront que 200 HETD à celles des DUT actuels. D'où aussi l'hypothétique possibilité d'un BUT "à la carte" en deux ans pour certains...
Une seule certitude, l'éternel retour du "faire mieux avec moins", credo managérial aveugle, dont on sait bien qu'il reviendra à nous laisser essayer de sauver ce qui peut l'être avec moins de moyens. Car étrangement, ou pas, le mot "moyens" n'apparaît ni dans le texte ministériel, ni donc dans celui de l'ADUT. Un mot dépassé, du passé… Comment dit-on "moyens", déjà, en anglais ? Peut-être cela passerait-il mieux...
Bref, comme dans les hôpitaux, y'a urgence, et les motions commencent à pleuvoir (3) contre un projet qui s'est construit sans consultation de la base. Seul un débat au sein des deux IUT de l'uppa pourra leur permettre de s'inscrire dans ce mouvement critique pour sauver une ambition pour la filière technologique et un modèle qui a fait ses preuves.
Françoise Rivière, élue snesup-uppa
"A l'école, tu bosses, tu réussis?" Leïla Frouillon et Romuald Bodin, Manuel indocile de sciences sociales, 2019, page 668.
et (3) Voir la rubrique Motions
De: "deleguee-generale ADIUT"
Envoyé: Vendredi 25 Octobre 2019 14:02:26
Objet: [directeurs-adiut] Éléments de langage sur le BUT
A l'attention des directeurs,
Chers collègues,
En prévision de vos prochains conseils d'institut ou en vue de communiquer en interne auprès des équipes pédagogiques, veuillez trouver ci-joint d'une part un support décrivant le projet d'évolution de l'offre de formation des IUT assorti d'éléments de langage pouvant contribuer au débat, d'autre part une fiche synthétique rappelant les enjeux auxquels répond le projet de BUT.
A l'approche de la présentation du projet au CNESER du 19 novembre, il est important de rappeler à l'ensemble de nos équipes et à nos partenaires, le contexte économique et sociétal dans lequel se place ce projet ainsi que les enjeux d'évolution que porte le projet pour les IUT .
Cordialement,
Alexandra KNAEBEL
Présidente de l'ADIUT
Directrice de l'IUT Louis Pasteur
L. Redon
Déléguée Générale de l'ADIUT
ADIUT - Assemblée des Directeurs d’IUT
202, quai de Clichy | 92110 Clichy | France