CONTRIBUTION AU CONGRES SNESUP 2017
Par OLIVIER GEBUHRER
Février 2017
A l’heure où ces lignes sont écrites, nul ne sait comment notre pays sortira de l’épreuve provoquée par un quinquennat abandonnant toute velléité de prendre le contrepied des logiques libérales qui ont accéléré comme jamais les inégalités sociales, la misère, le chômage de masse, l’emploi précaire et la marchandisation à marche forcée de la culture, du système éducatif, de l’Enseignement supérieur et de la recherche ; pour ce dernier, la Loi Fioraso, loin de tourner le dos aux dispositions les plus nocives de la LRU, les a accentuées ; les services publics en général et le nôtre en particulier sont soumis à des contraintes qui lui font perdre sa substance , conduisent à sa dislocation, à l’abandon de ses missions , à la destruction lente et programmée du cœur de nos métiers . Ces contraintes imposées par les traités européens successifs , malgré souvent le rejet des populations mènent l’Union Européenne dans le mur ; partout montent des forces d’extrême droite dont la référence à leur passé sanglant est à peine dissimulé ; en France , les forces de droite en sont à courir derrière les thématiques les plus violemment xénophobes, racistes , sécuritaires ;nous avions l’antisémitisme hier , aujourd’hui celui-ci se dissimule derrière une guerre ouverte contre le monde musulman ; la politique criminelle de l’Etat hébreu sert d’ombrelle aux courants les plus bellicistes dans le monde ; la notion même de démocratie est par elles constamment bafouée ; droite extrêmisée et extrême droite ensemble se vautrent dans les scandales faisant apparaître les formations qui les portent comme des gangs maffieux .
Rien cependant n’est joué ; la désespérance, le renoncement aux valeurs progressistes laisse place à une volonté encore trop timide de relever la tête ; AS est l’unique texte d’orientation à mettre cette contradiction majeure en évidence ; des issues progressistes nouvelles se cherchent encore à tâtons ; que pèseraient les appels du SNESUP à l’action collective si dans le pays entier ne frémissaient pas, fragiles et incertains les sarments porteurs des raisins de la colère ?
Ignorer le contexte de nos luttes – politique, social, idéologique-est une caractéristique indiquant les reculs phénoménaux de la pensée progressiste sur les décennies précédentes ; ce contexte n’est pas un décor de théâtre , pas un rappel obligé consacrant un rituel ; le SNESUP n’agit pas seul , le SNESUP n’est pas dans un face -à- face avec le gouvernement ; ce travers consistant à le croire a parcouru toute l’histoire du SNESUP depuis qu’il est de venu syndicat de masse ; constamment les courants minoritaires n’ont eu cure du contexte , constamment ils ont fait comme si le théâtre des opérations comportait deux personnages en tout et pour tout ; il est infiniment étrange de retrouver cette aberration majeure sous des signatures qui , devant cet étonnant spectacle, eussent poussé les hauts cris – et à juste titre- avant-hier .
Le contexte ne décide pas de tout ; on peut ou non s’y résigner et des organisations syndicales ayant pignon sur rue en font leur mantra. Ne pas s’y résigner aujourd’hui, est à la fois exigeant et un acte de gloire ; il était banal hier ; mais penser qu’il suffit de proclamer pour résoudre était depuis longtemps semblait-il une attitude dépassée. Elle fait son retour dans deux textes ; pour l’un d’eux c’est une constante, pour l’autre, c’est une grande « nouveauté ».
Mais ne pas se résigner est infiniment plus exigeant qu’hier ; hier, il était encore possible de contrebattre des attaques en s’appuyant sur les « acquis » antérieurs ; aujourd’hui, toute tentative de ravaudage apparait misérable mais toute tentative de construire de vraies alternatives fait face à des questions profondément nouvelles par leur ampleur et le degré d’implication individuelle et collective qu’elles supposent pour aboutir.
Créer les conditions du moindre succès en invoquant la sacrosainte construction « du rapport des forces » est pour tout esprit un peu au fait des choses une incantation.
Les avatars de la Loi el Khomry suffiraient à le montrer ; Florange est un cas d’école ; cela ne signifie évidemment pas que les amples mobilisations qui se manifestèrent aient été vaines ; mais devant une situation où d’évidence il était minoritaire dans le pays, le recours au 49_3 , a fortiori venant d’un gouvernement à étiquette socialiste indique évidement que sur ce point tout a changé . « La lutte paie » ; voilà un sujet … AS l’effleure, les autres courants en sont restés à avant -hier.
Dans notre milieu professionnel soumis à des tempêtes d’autant plus violentes que la plupart des formations politiques et les gouvernements successifs s’y attaquent en sachant que le silence des laboratoires, l’affaissement de l’appétence populaire pour la connaissance de haut niveau leur permettent l’impunité temporaire, comment peut-on nourrir l’illusion qu’il suffit de gesticuler pour rassembler, convaincre et gagner ?
Oui, les problématiques de nos combats ont changé ; les problématiques mais évidemment aussi les objectifs ; le voir ne condamne pas à la désertion ; ne pas le voir condamne à l’impuissance, à l’attitude du spectateur incapable de chercher à transformer le monde tel qu’il va.
Il n’y a pas que l’horizon qui ait changé ; beaucoup pensaient hier à un processus inscrit dans le marbre, conduisant par marches successives à une sorte d’avenir radieux ; j’en fis partie comme tant d’autres ; on peut guérir de cette maladie infantile ; mais en guérir sans pour autant lâcher son sac, plier les genoux, s’y faire, en somme, est, je l’ai dit, exigeant. Percevoir les invariants dans un monde qui change ne devrait pas être hors de portée d’un syndicat d’intellectuels ; encore faut-il s’entendre sur les « invariants » ; je n’appelle pas ainsi un succédané de marxisme avec les mots en « Isme » à la boutonnière ; le capitalisme a-t-il atteint son « stade suprême » pour poser brutalement une question dérangeante ? Et si tel n’est pas le cas, en sortir est -il une tâche d’humanité à affronter ? ; si oui, comment ?
Toutes questions que le SNESUP ne peut évidemment résoudre n’y même s’y attaquer sérieusement et qui pourtant sont transverses à tous les débats. Ne pas s’y attaquer sérieusement ne signifie pas être absent, regarder ailleurs ( CETA ou pas CETA en fait partie ; la militarisation accélérée de la planète en fait partie , le fossé entre ceux qui accumulent et accaparent et celles et ceux qui n’ont que leur travail – quand ils en ont – pour vivre, en fait partie ; la majorité pénale à 16 ans et l’interruption de la scolarité obligatoire à 14 ans en font partie ; on s’épuise à faire une liste) ; cela pourrait impliquer au contraire que les questions qui s’y rattachent soient l’objet d’attention dans notre presse avec divers points de vue. Les questions chaudes fécondent, les mets refroidis n’ont aucun goût.
On dira que je m’égare ; notre sujet est l’ESR. Justement à ce sujet, depuis fort longtemps, toutes tendances confondues, nous parlons de syndicalisme de « transformation sociale » opposé au « syndicalisme d’accompagnement » ; j’ai déjà eu l’occasion de rompre des lances à ce propos ; existe-t-il une seule force organisée qui fasse autre chose que de la transformation sociale ?
La question n’est pas l’opposition à la Loi el -Khomry ni même son abrogation, pour les forces dites de « transformation sociale » mais par quoi on la remplace ; la vraie ligne de démarcation est là. Mutatis mutandis c’est vrai du reste lorsque la question est centrale vis-à-vis de ce que souhaite transformer dans leur sens les forces du capital. C’est vrai de la LRU et de la Loi Fioraso.
Avant d’aller plus loin, mais je le précise d’emblée, pas très loin, que reste-t-il au syndicalisme dit d’accompagnement ? Même pas les « miettes » d’hier. Cela aussi fait partie du contexte dans lequel se meut le SNESUP et ce serait un utile sujet de réflexion.
Plus le champ de vision de notre syndicalisme est vaste , plus il a de chances de rassembler ; plus il décroche des réalités immédiates, moins il peut prétendre entraîner ; je me suis assez étendu sur le champ de vision encore que n’ayant pas signalé le rôle central des femmes dans la résistance et la conquête de droits nouveaux , voir ce qui se passe aux Etats Unis , je sois pris à mon propre piège , parlons réalités ; il est proprement ahurissant de découvrir l’invention linguistique du « droit virtuel » , à savoir le droit à la poursuite d’études ; qu’on me dise quel droit conquis n’est pas au départ virtuel ? Le droit à l’IVG n’est -il pas virtuel ? Regrette-t-on qu’il soit reconnu comme fondamental ? Seules celles et ceux qui n’ont rien vu, rien appris et rien compris de la bataille à l’Assemblée nationale ou au Sénat peuvent encore se réfugier derrière le fameux « ce droit est trop vert et bon pour des goujats » ; la notion de « droit virtuel » apparaît dans l’une des motions, l’autre invente le principe de « non- sélection » ; ce pourrait être risible en d’autres circonstances.
Rassembler dites -vous ? Qui voulez-vous donc rassembler derrière ces procès en haute trahison ? L’un commence par expliquer que les courants de pensée constituent un élément utile de démocratie, l’autre ose que les courants de pensée n’ont plus de sens ; ensemble, sans doute, ils n’hésiteraient pas à s’entendre pour mener le SNESUP quelque part dans le triangle des Bermudes.
Pourquoi en définitive appeler à voter AS ? Par fidélité, par comparaison ? De guerre lasse ? Mais la guerre qui nous est faite est conduite hors nos rangs et certains se sont échinés à la transporter en notre sein sous la forme d’une violence sans limite, devant cette guerre -là, celle qui nous est menée avec la dernière détermination, celle qui veut annihiler des années, des décennies d’idées progressistes majoritaires, qui continue à considérer l’enseignement supérieur public comme un foyer infectieux, seule la motion Action Syndicale relève le gant. Est-ce à dire qu’AS est sans défauts ? Que veut dire d’ailleurs cette expression ? Parce que AS rassemble largement et pas encore suffisamment, jamais suffisamment, ce courant est le seul à pouvoir être sa propre critique ; on pourrait ici remplir des volumes. Au temps de Salvador Allende courait un mot populaire « Ce gouvernement est un gouvernement de merde mais c’est le nôtre » ; il y a là quelque chose à penser. Fut un temps, je me serais complu à une critique détaillée et je ne le ferais pas : notre syndicalisme a mieux à faire que de mettre à sa tête un essaim de guêpes ; mais surtout, surtout, seul celui-celle- qui ne prend pas la mesure de l’immensité des questions à affronter peut penser en détenir toutes les clés ; j’en ai fini avec cette ambition absurde. Le syndicalisme est une dure école ; on y vient quasi sans bagage et on s’y transforme peu à peu si on en a la volonté ; dans Action Syndicale se regroupent des universitaires couvrant une gamme immense de sensibilités ; les faire travailler ensemble est une gageure et un objectif permanent ; tous et toutes ont la même conviction que sans le SNESUP , l’enseignement supérieur est défiguré ; certains y viennent parce que l’idée de la défense corporative est au premier plan de leurs préoccupations , d’autres mesurent que pour assurer la défense corporative il faut avoir des vues plus amples, viser la construction de valeurs dans un monde livré aux appétits de toute sorte , aux ambitions démesurées, un monde où la cruauté devient une règle et le dispute à la cupidité ; au XXI° Siècle, il faut aujourd’hui un Pape pour le dire urbi et orbi . Voilà où nous en sommes après deux guerres mondiales ; voilà dans quel abîme on a jeté l’humanité. Beau travail des « déconstructeurs ».
Le mélange unique dont on vient de parler se reconstitue à chaque génération. Ce n’est pas la moindre des difficultés. Action Syndicale est un creuset. Mais ce creuset doit être tourné constamment vers la très grande majorité de nos collègues ; on a parlé « rapport des forces » ; on en a dit un mot ; les luttes d’hier ne peuvent être les exemples de demain ; ce n’est pas qu’elles soient à rejeter en toutes circonstances ; en revanche, ne pas mesurer que chacune et chacun de nos collègues a son mot à dire , que se priver d’un seul de ces mots affaiblit , ne pas concevoir qu’au moment où tout est mis en œuvre pour étouffer la moindre velléité de sortir du cadre, la construction « du rapport des forces » commence justement par rendre leur dignité, leur conscience réflexive , leur humanité à chacune et à chacun . De cette manière les menues inquiétudes des moineaux s’effacent devant les questions essentielles et créent le terreau où se constitue la volonté puissamment majoritaire en lieu et place du mouvement brownien. Il n’existe pas de « rapport des forces » hors de la construction de cette volonté. Il existe des moments de cristallisation lorsque cette volonté s’est patiemment construite ; mais on doit avoir la conscience la plus aigüe du fait qu’aujourd’hui plus personne n’accepte d’être le rouage d’un grand mécanisme et que cela vaut pour le SNESUP ; aussi juste que soit – encore cela reste-t-il à vérifier constamment – notre corpus de réflexion, plus personne n’est disposé à suivre aveuglément simplement « parce que c’est juste ». Après des décennies de grands échecs sans exclure des trouées partielles, d’illusions dévastatrices, et de bouleversements rendant leur vie quotidienne plus difficile chaque jour, l’immense majorité de nos collègues veut d’abord assurer en toutes circonstances que ce qui constitue le cœur de leur activité professionnelle se poursuive coûte que coûte ; c’est étroit ? Oui sans doute au premier degré ; mais c’est l’une des expressions de la volonté puissamment majoritaire ; on trouve dans les autres textes une sorte de mépris à l’égard de cette volonté et l’exhortation faite au SNESUP de s’en extraire ; comme si, en ignorant leur sève, on pouvait faire grandir les séquoias …. Le texte Action Syndicale le dit à sa manière et est le seul à le faire.
Courants de pensée : j’en dis un mot ; je ne reprendrais pas ce qu’on a pu dire à ce sujet ; chacune et chacun de nous est un courant de pensée en lui -même et entend être respecté à ce titre ; point n’est besoin de cristalliser de pseudo dénominateurs communs ; mais puisque certains y trouvent leur compte, comment l’éviter ? La dissolution se décrète-t-elle ? Encore faut-il que, puisqu’inévitables, la cristallisation ne conduise pas aux délices d’affrontements internes qui n’intéressent personne en dehors de celle et ceux qui s’en délectent. C’est trop demander.
Je conclus par une citation cette prétendue contribution : « Personne n’apprend à jouer de la guitare en écoutant les concerts de Central Park ou les solos de Jimmy Hendricks ; les guitaristes s’exercent, les guitaristes ont les mains calleuses ; de la même façon les physiciens résolvent des problèmes » ; de la même façon, le syndicalisme , le nôtre, apprend à soulever les questions d’avenir ; les résoudre ne lui appartient pas en propre ; y contribuer est déjà beaucoup ; on dit que dans le désert il arrive que les pierres produisent des diamants mais pour ça il faut pleurer un peu .