Vendredi 20 Octobre 2017
Par Jean Fabbri, enseignant-chercheur en maths, ancien directeur de l’UFR sciences de Tours
Au moment où le gouvernement s’apprête à modifier en profondeur les conditions d’accès aux études post-baccalauréat en formalisant un dispositif de type « pré-requis contraignants » pour entrer dans toutes les filières, cette double question s’impose. A quoi, à qui, cela sert-il ?
Le bouleversement prévu(*) va bien au-delà de la correction des dysfonctionnements du dispositif APB pour l’inscription essentiellement des nouveaux bacheliers et pour éviter le désastreux recours au tirage au sort. Dans l’air du temps, avec d’autres remises en cause de « tabous » sociaux, cette sélection -osons le mot- est-elle dans l’intérêt des étudiants et insufflerait-elle un plus grand dynamisme et une meilleure efficience au système universitaire dans son ensemble ? Examinons ces deux aspects.
Quels sont les étudiants d’aujourd’hui ? Ils sont bien plus nombreux qu’il y a 20 ans (début du processus dit de Bologne), environ 2/3 d’une classe d’âge atteint le niveau du bac (des 3 bacs en fait dans les voies générale, technologique et professionnelle) ; le plus grand nombre est amené à poursuivre des études. S’ajoutent à ces néo bacheliers un nombre croissant lui aussi de « moins jeunes » qui , en formation continue, en reprise d’étude, avec dans ces cas une motivation exemplaire, viennent acquérir des savoirs théoriques et pratiques que les établissements d’enseignement supérieur savent dispenser avec bien plus de liberté et de respect des motivations individuelles que les structures de formations dites spécialisées adossées aux organisations patronales ou consulaires (CCI, Chambres des métiers, officines privées à but lucratif). Ainsi aujourd’hui à l’entrée dans l’enseignement supérieur public non sélectif -la première année de licence- le public étudiant est-il très divers. Est-il pour autant incapable de réussir et de tirer bénéfice de son année d’étude? Les chiffres et le vécu des universitaires montrent que non. Ce qui se passe à l’UFR sciences et techniques de l’université de Tours est très significatif : pour un flux d’entrée moyen ces dernières années de 1000 étudiants en première année, on décompte moins de 500 bacheliers S (scientifiques) du mois de juin précédent : les situations de redoublements, réorientations sont donc très nombreuses. Elles ne traduisent ni ne préparent toutefois pas des échecs. Le parcours d’un étudiant n’a pas obligatoirement à se conformer à la succes story d’un startuper ! Avec des dispositifs d’accompagnement qui demandent du temps et de la disponibilité de la part des enseignants-chercheurs et enseignants, c’est moins de 10% des étudiants qui abandonnent ; c’est donc pour la grande majorité des inscrits un cheminement positif nourri de savoirs nouveaux et d’expériences vers une diplomation ultérieure. Le présupposé de l’échec massif est faux ; cela ne signifie pas qu’il n’y ait rien à changer. Car côté étudiant toujours, le chômage de masse, la précarisation dans l’entrée dans la vie active est largement intégrée dans les consciences et les modalités de vie qui modifient la temporalité des études. Au-delà des statistiques qui établissent le net glissement de l’âge d’une insertion professionnelle stable pour les diplômés du supérieur bien au-delà de 25 ans ; la réalité du brassage de la formation initiale et de la formation continue appelle des contenus et des outils pédagogiques d’une très grande variété. Le choix que le gouvernement se prépare à annoncer est tout autre : des parcours types fortement liés à l’identification précoce d’une visée professionnelle et à des enseignements spécifiques suivis avant le bac -ce qu’il appelle les prérequis- afin de produire une orientation dirigée c'est-à-dire sélective. Ce choix ne correspond pas au mode de construction individuel des étudiants du XXIeme siècle.
L’enseignement coûte cher à la collectivité : c’est un choix de nos sociétés démocratiques où l’accès aux connaissances fondamentales ou appliquées, théoriques et pratiques en primaire et secondaire ne relève pas dispositions familiales liées aux ressources financières des familles. C’est aujourd’hui déjà beaucoup moins vrai pour l’enseignement supérieur en France (voir les Ecoles de commerce, une large part du secteur paramédical et informatique) et nombre de modèles étrangers sont fondés sur un financement individuel important cause d’endettements durables. La question de l’efficacité globale des dépenses publiques n’en est pas moins légitime.
Le financement public pour l’enseignement supérieur décroit en France après une éphémère et timide augmentation il y a une dizaine d’années. Se créent ainsi des goulots d’étranglement par manque de place dans certaines filières de formation. A côté de l’université qui n’offre pas assez de place dans les IUT, puisque les ouvertures sont liées à autorisation ministérielle –très chichement accordée ces dernières années – les autres structures publiques STS et CPGE ne répondent qu’imparfaitement aux aspirations et besoins. Quant au coût budgétaire et social des « classes préparatoires » il est un marqueur lourd du post-bac français qu’il conviendrait enfin de mettre en débat.
Cette rentrée universitaire qui laisse encore des bacheliers sans affectation dans le post bac, voit surtout se prolonger la dégradation généralisée des conditions d'études des étudiants et des conditions de travail des personnels (dont le nombre, le sait-on, diminue). En matière de recherche, la concentration des financements sur un nombre de plus en plus restreint d'UMR-CNRS et sur les lauréats institutionnels ou individuels d'appels à projet, étouffe beaucoup de thématiques et décourage des universitaires qui accomplissent pourtant honnêtement leur métier.
Une partie des universitaires pourrait croire retrouver de meilleures conditions de travail avec des étudiants triés et moins nombreux. Ce serait s’aveugler car la sélection signifie concurrence entre établissements dès le premier jour du post bac ; à ce jeu, une grosse poignée d'universités resteront concernées par les 3 cycles Licence-Master-Doctorat, les autres en seconde ou troisième division seront réduits à des collèges universitaires limités au niveau L. Ainsi s’effondrerait la richesse thématique, l’enracinement national de nos connaissances et de leurs interactions culturelles et économiques avec la société tout entière.
Contrôler ( ?) des prérequis revient à remettre en cause le bac et à dévaloriser en cascade tous les diplômes garants, au travers des conventions collectives, d'un niveau d’emploi et de salaire. L’obtention du bac seul doit servir à la poursuite d'études en licence comme ailleurs et à ouvrir aux jeunes de 18 ans un nouveau tremplin, de nouveaux horizons dont comme jeunes adultes ils doivent assurer par leur travail le succès. Le droit de tout bachelier à choisir son champ d'études est structurant et essentiel. Les financements de dispositifs variés d'accompagnement, d'aides financières aux étudiants, aux réorientations, incluant l'amélioration de l'encadrement par un plan pluriannuel de recrutement de titulaires, devraient être inscrits au budget. Les universitaires sauront en faire le meilleur des usages.
En 2007, N. Sarkozy et V. Pecresse avaient voulu jeter les bases d’un alignement du système universitaire français sur celui d’outre-Atlantique : autonomie/ absence de statut national pour les personnel/sélection des étudiants. La résistance des universitaires y a mis un frein. Aujourd’hui avec les mêmes enjeux, l’issue n’est pas écrite !
(*) Ce qui se prépare en matière de sélection à l'entrée dans les études post bac est brutal : le premier ministre a été sans ambiguïté en ouvrant pour 2 mois depuis septembre des "discussions" entre le gouvernement et les syndicats et associations, dans 11 groupes de travail.
Lire l'article publié sur le site de L'Humanité le 20 octobre 2017