Adresse du SNESUP-FSU aux parlementaires

Publié le : 11/07/2009


 

      

 

 

Paris, le 10 juillet 2009

 

                    
Monsieur le Député,


Ces derniers mois, l’immense majorité de nos collègues des universités et des organismes de recherche s’est impliquée dans un mouvement de contestation des choix gouvernementaux, inédit par son ampleur et sa durée dans l’unité. Les personnels et les étudiants – par dizaines de milliers - se sont engagés dans une mobilisation continue de quatre mois de grèves et de manifestations comme notre pays n’en a jamais connue. Si les collègues se sont investis pour permettre la validation de l’année universitaire afin de ne pas pénaliser les étudiants, leur colère reste entière.  


Ils s’opposent aux atteintes aux fondements du service public qui se sont accélérées avec la mise en œuvre de la loi LRU et du Pacte Recherche. Avec les décrets d’application sur les statuts des enseignants-chercheurs introduisant notamment la « modulation des services », les nouvelles modalités de recrutement (comités de sélection) ou le passage aux « Responsabilités et Compétences Elargies » votées dans nombre de Conseils d’Administration, c’est la liberté scientifique, la collégialité, la qualité de l’enseignement, le statut de fonctionnaire d’Etat des personnels qui sont menacés.

Le processus de démantèlement des organismes de recherche, le pilotage de la recherche essentiellement au travers de financements sur projets (ANR), le contrôle technocratique et étriqué de l’AERES sur les équipes et les laboratoires, visent à focaliser la recherche sur quelques thématiques décidées sans participation de la communauté scientifique -ni des parlementaires-, au détriment du développement continu des connaissances dans tous les champs scientifiques, particulièrement en Sciences Humaines et Sociales.

La modification en profondeur de la formation et du recrutement des enseignants telle qu’elle est menée par le gouvernement met en cause la qualité de la formation des futurs enseignants tant sur le plan disciplinaire que professionnel, alors que l’élévation de la qualification des enseignants et sa reconnaissance par un Master est un objectif que nous partageons : c’est l’avenir des élèves qui est en jeu. Les IUFM et leurs sites départementaux sont menacés de disparition, bien qu’ils concourent à une répartition équilibrée sur le territoire de la formation des enseignants.

Alors que le budget de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche 2008 ne présentait aucune création d’emploi – situation inédite depuis 15 ans-, celui de 2009 a créé la stupeur dans les universités et les organismes de recherche en prévoyant plus de 1000 suppressions d’emplois dans l’enseignement supérieur et la recherche. Qui plus est, l’insuffisance des budgets encourage la course aux financements propres, et le nouveau mode d’allocation des moyens aux universités se base non sur les besoins des établissements, des formations et de la recherche, mais sur une répartition des crédits introduisant une part importante liée à des indicateurs contestables de performance. 

Dans les composantes de chaque université, la traduction de ces budgets conditionnés par « la performance », prend peu à peu la forme de contrats d’objectifs et de moyens (COM). Avec ces COM conditionnant tout moyen à des objectifs locaux, comment garantir le caractère national des diplômes et la reconnaissance collective des qualifications, comment éviter un jeu de concurrence entre établissements, comment garantir aux IUT et aux IUFM l’égalité de traitement et la qualité de formation via une répartition locale des moyens ? Quel avenir avec un budget globalisé et des emplois sans fléchage? Quelle carte universitaire régulée en termes d’aménagement du territoire ? C’est l’appauvrissement et l’éclatement de ces dispositifs qui se dessinent.   


Dans cette période de mobilisation, les universitaires ont pris concrètement conscience de la nocivité du Pacte Recherche et de la loi LRU et exigent un tout autre cadre législatif pour le service public d’enseignement supérieur et de recherche. Dans le même temps, ils ont pu mesurer les facilités exorbitantes accordées à l’enseignement supérieur privé : financement, accord avec le Vatican pour la reconnaissance des diplômes, multiplication des reconnaissances de diplômes d’établissements privés ou consulaires.


Dans les réflexions récentes, certains qui se présentent comme « refondateurs » se font l’écho des inquiétudes des universitaires mais font le choix d’esquiver la confrontation avec la ministre et le gouvernement pourtant largement responsables de la crise actuelle, et portant une conception de l'université à deux vitesses. Des collèges universitaires ouverts à tous les bacheliers, sortes de « propédeutiques » aux accès contingentés, prépareraient à une entrée sélective en master. A ce niveau d’études, seule une mise en concurrence des formations est présentée comme susceptible de rendre l'enseignement supérieur efficace ! L’aspiration à des formations post bac, jouant un rôle dans le progrès collectif de notre société, n’est aucunement prise en compte. On voit par ailleurs préconiser la suppression des IUT, qui jouent un rôle important pour permettre l’accès à l’enseignement supérieur des jeunes issus de milieux défavorisés ou des filières technologiques. La vision qui sous tend ces préconisations est fondamentalement en rupture avec l’exigence de démocratisation de l’enseignement supérieur et de la recherche pour la société.


Au moment où les réflexions sur l’élaboration d’une nouvelle loi se font jour, un vrai débat avec tous les membres de la communauté universitaire et scientifique, au premier rang desquels le SNESUP, première organisation syndicale dans l'enseignement supérieur, est incontournable. Outre le périmètre de la loi qui devrait englober l’ensemble de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce débat devrait concerner quelques questions de fond :

  • Quels moyens programmer pour le développement de l’enseignement supérieur, de la recherche publique en liaison avec un investissement accru des entreprises en Recherche et Développement, et pour la
  • réussite des étudiants ?
  • Quel gouvernement démocratique pour les universités ?
  • Comment organiser la gestion budgétaire interne et externe aux universités ?
  • Quelle place pour les universités dans le dialogue social, territorial, régional, national ?
  • Quelles coopérations entre universités et organismes de recherche ?
  • Comment organiser une régulation et une prospective nationales de l’enseignement supérieur et la recherche fondées sur la collégialité ?
  • Sur quelles bases organiser une évaluation positive des enseignants-chercheurs et des autres enseignants, et assainir les modalités de recrutement par exemple par regroupement géographique d’emplois ?

Fruits de ce mouvement, le brassage des idées, l’inventivité des propositions et des formes d’action sont riches de choix alternatifs pour un service public d’enseignement supérieur et de recherche unifié, diversifié, basé sur la collégialité, permettant l’accès et la réussite du plus grand nombre aux études, et répondant aux besoins de société. Défendre le service public, démantelé pièce par pièce, ne saurait se satisfaire d’une incantation ou d'une loi élaborée sans la prise en compte des revendications que la mobilisation universitaire a portées pendant de longues semaines de lutte.


C’est dans cet état d’esprit que nous espérons pouvoir vous rencontrer. Veuillez agréer,  Monsieur le Député, l’expression de nos sincères salutations.
 


Stéphane TASSEL - Secrétaire général du SNESUP-FSU
Michelle LAUTON  - Secrétaire générale adjointe SNESUP-FSU